Visionnaire, passionné du tourisme, initiateur, entrepreneur, amoureux de sa Tunisie, ambitieux…
Avec tous ces atouts, Mohamed Ali Toumi a réussi s’imposer dans le tourisme tunisien comme la main forte qui agit, qui veut changer le mauvais et améliorer le bien dans ce secteur tellement sensible qui est le tourisme en général et le tourisme tunisien en particulier. Pour la deuxième fois élu à la tête de FTAV, Mohamed Ali Toumi et son équipe se sont proposés à changer des mentalités et laisser leurs empreintes sur la dynamique du secteur.
1. Mr Toumi en 2003 vous étiez classé par la revue Entreprises parmi les 100 personnalités qui ont fait bouger le business en Tunisie. Vous avez voulu choisir des le début ce chemin beau et en même temps difficile du tourisme de carrière ?
Mon choix de carrière s’est orienté vers le tourisme depuis bien longtemps. J’ai été honoré par le choix du magazine Entreprises de me considérer parmi les 100 personnalités de l’année, mais avant tout, et notamment depuis que je préside la FTAV, ma priorité est de servir mon pays à travers le tourisme. Il n’y a pas de métier facile, il y a partout des défis à relever et c’est ce qui me motive personnellement tous les jours.
2. Vous êtes originaire de Kerkennah. Qu’est ce que vous en pensez de cette région ? Est-ce qu’elle est promue comme il le faut, à sa vraie mesure ?
En tant que natif de Kerkennah, il est évident que j’ai toujours un faible pour l’île. Cependant, en tant que président de la FTAV, je ne fais pas de favoritisme entre une région ou une autre, la Tunisie touristique est un tout indissociable. Sur le plan touristique, je pense que Kerkennah doit faire l’objet d’un plan de développement très étudié car son écosystème est extrêmement fragile. Le ministère du Tourisme a lancé récemment un appel d’offres pour la zone de Sidi Founkhal, c’est une bonne chose, mais encore une fois, il faudra faire très attention aux choix qui seront adoptés.
3. Vous êtes sans doute un pro du domaine. Comment vous voyez le tourisme tunisien ?
Le tourisme tunisien est à la croisée des chemins. Il est à un stade où il a besoin de réformes en profondeur. Le secteur n’a pas su évoluer ni s’adapter à la demande de la clientèle internationale dont les goûts et les attentes ont profondément changé ces dernières années. C’est pour cette raison que les professionnels du tourisme attendent beaucoup du nouveau gouvernement en espérant qu’il accorde l’intérêt que le tourisme est en droit d’avoir. Le secteur ne peut plus continuer selon les méthodes qui ont été suivies au cours des dernières années, aussi bien avant qu’après la révolution.
4. Le tourisme est un secteur dynamique et concurrentiel et en même temps sensible, c'est-à-dire il ne permet pas un manque d’attention comme l’éducation d’un enfant. De ce point de vue le tourisme tunisien dans quel stage se trouve : école primaire, adolescence ou maturité ?
Je pense que nous sommes au stade de l’adolescence attardée car nous ne savons pas quelle voie adopter pour le secteur. En réalité, la voie à suivre est connue, mais c’est le manque d’exécution qui fait défaut. Nous, en tant que professionnels, nous soutenons toute réforme pour peu qu’elle fasse bouger les choses, mais nous ne sommes pas dans l’exécutif. Au niveau de la FTAV, nous essayons de sensibiliser les différentes parties prenantes.
5. Comment s’annonce 2015 du point de vue de la visibilité de la Tunisie sur le marché touristique international, un marché très concurrentiel ? Le fait qu’elle a été choisie comme la première destination de l’année en cours par National Geographic et Lonely Planet constitue un plus qui est venu au bon moment ?
L’année 2015 est pour nous au niveau de la FTAV un véritable motif d’inquiétude. Les capacités aériennes des tour-opérateurs n’ont pas évolué et en plus, nous avons de gros problèmes sur certains de nos principaux marchés émetteurs comme la France (l’affaire Charlie Hebdo va avoir des conséquences négatives sur le tourisme dans les pays arabes et musulmans), la Russie (la crise du rouble et la faillite de nombreux T.O), la Scandinavie (l’absence de dessertes aériennes directes…). Pour ces raisons et pour bien d’autres, il est nécessaire que le gouvernement prenne le taureau par les cornes pour réformer le secteur, d’aller sur la voie de la diversification, car il n’y a plus lieu de continuer à opérer tel que nous le faisons depuis des années. Le fait que certains médias nous choisissent comme destination de l’année est une bonne chose sur le plan image mais cela ne résoudra pas nos problèmes de fond.
6. Qu’est ce qu’il faut absolument faire dans ce moment pour le tourisme tunisien ?
Des réformes au niveau de l’administration et de nos procédures de travail. Il faut prendre à bras le corps les dossiers de la commercialisation et du marketing, de la formation professionnelle, etc. La vocation de l’ONTT doit être totalement revue, c’est d’ailleurs une recommandation émanant aussi bien de la Banque mondiale que du Cabinet Roland Berger.
7. Vous étiez reconduit à la tête de la FTAV pour la deuxième fois. Quel est le projet le plus ambitieux pour l’organisme dont avec succès vous représentez ?
Au cours de notre premier mandat, je pense que notre bureau directeur peut se prévaloir d’avoir bousculé les vieilles habitudes d’antan. La FTAV est désormais écoutée et respectée quand il s’agit d’opérer des choix dans le tourisme. Nous avons ouvert plusieurs chantiers à la fois, mais les problèmes étant énormes, certains ont abouti, d’autres sont en cours. Brièvement, je pense que les billettistes ont de meilleurs rapports avec l’IATA dont les relations avaient atteint des niveaux exécrables à un moment donné. Pour les spécialistes de la Omra, nous avons réussi à libéraliser le secteur et à briser le monopole de fait qui existait. Mais nous avons encore du pain sur la planche car le secteur du MICE est extrêmement souffrant, tandis que les agences réceptives ont également de gros problèmes que nous essayons de résoudre progressivement. Je ne peux pas passer outre les agences de voyages du sud-ouest qui souffrent de la conjoncture et de la baisse drastique des arrivées touristiques dans cette région.
8. Vous avez eu sur votre table les grands dossiers du tourisme tunisien : l’Omra et l’open sky. Si par rapport à Omra les choses sont devenues claires, par rapport à l’open sky ou on se trouve ? Il y a encore l’espoir ?
Pour l’Open Sky, la problématique a été posée lors d’un grand séminaire que nous avons organisé à l’occasion de notre 50e anniversaire et au cours duquel nous avons invité des experts nationaux et internationaux à débattre du problème. Au niveau de la FTAV, nous ne raisonnons pas en termes d’intérêts exclusivement personnels mais nous prenons en considération les intérêts de tout le pays. La problématique qui se pose est la suivante : comment ouvrir le ciel à une concurrence internationale féroce sans mettre en péril le devenir de Tunisair qui est notre compagnie nationale ?
9. Le concept All Inclusive. Est-ce qu’il est fait pour la Tunisie ou non ?
Le All inclusive est en fait une demande émanant de notre clientèle. Il ne s’agit donc pas de dire si le concept est fait pour nous ou s’il ne l’est pas. La formule est incontournable malgré tous les points négatifs qu’elle engendre. Le tout est de savoir proposer un All inclusive correct et dans les règles de l’art car à défaut, il provoque l’effet inverse.
10. En ce qui concerne le tourisme intérieur est ce qu’il a déjà atteint son peak ou il a pris seulement la route et ca reste encore un créneau à exploiter ?
Le tourisme intérieur est loin d’avoir atteint son pic. Il a ses considérations et ses exigences avec lesquelles les professionnels du tourisme et l’administration doivent savoir composer. Il y a un travail de sensibilisation énorme à accomplir pour que le Tunisien prenne l’habitude de réserver ses vacances d’abord suffisamment à l’avance, ensuite en passant par un canal professionnel, en l’occurrence une agence de voyages. Et dans ce domaine, nous avons aujourd’hui un nombre important d’agences qui sont en mesure d’offrir des prestations et des tarifs très compétitifs.
11. Encore 4 ans comme Président de la FTAV. Quels sont vos projets de futur et votre plus grande ambition ?
Les agences de voyages tunisiennes viennent de passer par 4 années extrêmement difficiles qui s’ajoutent à une conjoncture qui n’était déjà pas reluisante avant 2011. L’objectif de tout le bureau exécutif de la FTAV est de voir notre secteur croître, évoluer, participer à la dynamique économique du pays, contribuer à créer des emplois, générer de la croissance. Les agences de voyages constituent un maillon stratégique dans la chaîne touristique et économique du pays. Notre ambition est de voir la Tunisie revenir sur les devants de la scène touristique régionale, qu’elle soit appréciée à sa juste valeur, qu’elle se détache de cette image de destination bon marché. Tous avons un rôle à jouer pour atteindre ces objectifs, nous en tant qu’agents de voyages, mais aussi nos collègues des autres secteurs et en premier lieu desquels les hôteliers, avec le concours de l’administration du Tourisme.
12. Vous considérez nécessaire un rebranding de la Tunisie ou on ne trouve plus l’étiquette de « pas cher » pour une destination qui se trouve quand même en Afrique et donc on arrive par avion et ou l’accent ne tombe plus tellement sur le tourisme balnéaire vu que la Tunisie a des sites rare au monde comme : Dougga, Kerkouane, Bulla Regia et la région des ksour ?
Le balnéaire est et restera le fondement de notre tourisme. Nos sites archéologiques sont effectivement pas assez mis en valeur. Le tourisme culturel doit s’inscrire dans une longue démarche de diversification du produit touristique tunisien trop lié à la mer. Mais il y a aussi d’autres produits à développer comme la thalasso, le golf, le tourisme écologique qui pourront progressivement prendre une place plus importante. Cette mutation permettra effectivement à la destination de jouir d’un nouveau branding.
Irina Gros